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La Fatigue

Création originale

La Fatigue

Weber avait tout essayé pour faciliter ses réveils et augmenter, lorsqu’il regagnait les zones lumineuses de la conscience, sa lucidité et ses facultés intellectuelles. Rien n’y avait jamais fait. Les changements de diète, les médicaments, le sport n’avaient rien pu contre l’invincible somnolence qui s’emparait de lui dès qu’il quittait son lit. Pourtant, à peine avait-il ouvert les yeux qu’il secouait vivement la tête, comme pour en chasser les lambeaux de sommeil qui s’y obstinaient encore ; puis il se mettait à fixer un point sur le mur de sa chambre en fronçant les sourcils pour lutter contre le flou agaçant de ses regards ; feignant l’enthousiasme, il se soustrayait à la chaleur du duvet et sautait hors du lit, courait dans la salle de bain en secouant ses bras pour activer sa circulation sanguine, s’ébrouait dans les clapotis cinglants de l’eau froide en poussant des hennissements choqués, puis se séchait vigoureusement avec un linge rêche jusqu’à en rougir sa peau. Mais sitôt que cessait cette vague tumultueuse d’activité, la chape tiède de l’engourdissement le submergeait tout entier à nouveau. Ses idées perdaient leurs contours bien dessinés, elles s’enchaînaient avec le désordre des rêves sans qu’il pût y arrêter son attention ; les informations du monde extérieur lui parvenaient avec une lenteur extrême, comme à travers d’imposants remparts ouateux, et le mouvement le plus insignifiant lui paraissait d’une difficulté insurmontable. » Comme d’autres l’étaient pour les sacres et pour les victoires, lui était, selon l’expression heureuse de Michaux, né fatigué.

Stéphane Augsburger
Stéphane Augsburger est un musicien et auteur né et résidant à Genève. Il a un goût prononcé pour le sucre et mange ses cacahuètes entières et par deux.

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