La cupidité comme vecteur d’innovation
Connaissez-vous le point commun du sandwich, de la vapoteuse et de la montre pour aveugle? L’appât du gain a nourri leur essor.

Le sandwich
L’origine du sandwich est très (mé)connue: John Montagu est un joueur de carte invétéré. Il ne veut pas quitter sa table de jeu pour ne rater aucune occasion de gagner. Le quatrième comte de Sandwich commande une collation à un domestique. Ce dernier lui apporte des tranches de pain garnies de viande et de fromage. Le comte en prend une et la met sur l’autre, en sandwich.
Ainsi est apparu un plat dont environ 30 millions d’unités ont été écoulées pour la seule journée d’aujourd’hui, comme tous les jours. Ça, c’est pour s’en rappeler et c’est en effet un excellent aide-mémoire qui permit à la ville éponyme de Sandwich dans le sud de l’Angleterre de passer à la postérité. Il se pourrait que la vérité soit moins romanesque.
John Montagu serait bien l’inventeur du mode de consommation alimentaire qui consiste à enfourner à peu près ce qu’on veut entre deux tranches de pain pour manger sur le pouce sans avoir à se saloper les doigts et le complet. Cependant en réalité, le comte occupait des fonctions haut placées et comme nombre de ses congénères, il ne quittait pas son bureau pour se sustenter.
Les anglais mangeaient froid et les plus affairés n’en prenaient pas le temps. Cet us nous apporta l’assiette anglaise de nos apéros, le rosbeef, et la preuve, s’il en fallait une de plus, que ces gens-là n’ont aucun savoir vivre. Cet éclairage, aussi nécessaire soit-il pour chercher la vérité, ne dénature cependant pas la raison d’être du sandwich: Les affaires sont les affaires.

La montre pour aveugle
C’est le deuxième objet le plus plébiscité par les aveugles après la canne blanche. Cette montre est apparue dans les années 1920/1930. Son unique point de différence était l’absence de verre qui permettait de lire l’heure en sentant les aiguilles du bout des doigts. La montre mécanique tactile est alors encore protégée par un couvercle comme les autres montres de gousset.
Durant presque un siècle, les aveugles n’avaient que très peu de choix. Puis dans les années 2000/2010, est apparue une ribambelle de modèles développés pour pouvoir lire l’heure sans ses yeux. La miniaturisation a grandement aidé les innovations en matière mais les raisons de son succès auprès du grand public sont plus saugrenues.
En effet, ces montres pour aveugle permettent une lecture en toute discrétion et donc plus de tact dans ses interactions sociales. Par souci d’élégance, nombre de businessmen ont adopté cet objet pour ne pas avoir à lever le poignet et détourner le regard lorsqu’ils se soucient de leur agenda. Diplomatie oblige, l’interlocuteur doit rester le centre de l’attention, peu importent les circonstances.
Ainsi, de plus en plus de marques développèrent des montres dont certaines ne s’adressent plus uniquement aux personnes aveugles et malvoyantes ou aux traders. Parmi elles, la Bradley par Eone séduit par un design audacieux. Espérons que les marques horlogères qui contribuent à la réputation romande sauront s’appuyer sur cet exemple pour s’adresser à un public plus varié.

La vapoteuse
Hon Lik était pharmacien lorsqu’il décida d’inventer un substitut à la cigarette. Il s’employa à en imiter l’apparence, les sensations et l’expérience. La cigarette électronique naît en 2003. Cette année-là, les États-Unis déclarent la guerre à l’Irak, les Whites Stripes sortent Seven Nation Army, Nokia bat des records de vente et le Concorde vole encore. 2003, c’est loin. Il fallut attendre quelques années avant de voir les vapoteuses s’installer dans le paysage.
Les raisons invoquées pour justifier son adoption sont multiples: Certains vapotent pour arrêter de fumer, d’autres vapotent pour ne pas commencer à fumer, et enfin, tout le monde s’accorde à dire que l’odeur dégagée est bien meilleure que celle du tabac. Ça, c’était sans compter sur tonton Gérard qui nous a ramené son e-liquide goût Caramel-Bergamote commandé sur Aliexpress.
L’essor de la cigarette électronique n’a en fait rien à voir avec tout ça mais avec un fait sociétal majeur: L’adoption des lois anti-tabac à l’échelle internationale. D’un jour à l’autre, aux quatre coins de la planète, on ne peut plus cloper à l’intérieur. Les premiers à se ruer sur les cigarettes électroniques, les early adopters, ne sont alors pas ceux qui se soucient le plus de leur santé. Ce sont les traders.
Pour évacuer leur stress en crachant leurs poumons, il leur fallait alors descendre des tours de verre dans lesquelles les banques sont installées. Comprendre: traverser une salle de marché + attendre l’ascenseur + se taper les dizaines d’étages + traverser le lobby; le tout aller/retour sans pouvoir garder un œil sur leurs écrans et le doigt sur le mulot. La vapoteuse a cartonné. Il y avait alors des centaines de vendeurs dans les rues de Manhattan qui les négociaient pour des petites fortunes.
C’est ainsi que cet objet qui n’est certes pas beaucoup moins nocif que la vraie cigarette, pas beaucoup moins chère non plus, plus encombrante, qui nécessite plus de maintenance et qui n’arrête pas de fuire, a fini par se démocratiser. Et c’est en partie grâce à cela que j’ai totalement arrêté la cigarette il y a deux ans et c’est peut-être la seule vertue dont les salles de marché peuvent se targuer ces dernières décennies.