Un regard incarné
Brûle le sang se distingue d’abord par le choix exclusif du grand angle. À l’intérieur, le film inclut le spectateur dans la scène et le confronte au réel, coincé dans des pièces exiguës, brûlé par une lumière crue. La caméra nous fait goûter à l’ambiance d’un repas en famille, d’un deal interlope ou d’une lutte sur tatami.
Le spectateur, voyeuriste pour la séance, s’immisce dans l’intimité des personnages qui semblent parfois même gênés, fuyant la caméra par pudeur. On retrouve une promiscuité à laquelle peut nous soumettre un Gaspard Noé, notamment par de longues séquences ivres et chahutées, rebondissant dans les détours d’un dédale.
À l’extérieur, le grand angle accentue la perspective, scanne l’horizon, dramatise les tensions et dynamise l’action. Au service de l’intrigue, le grand angle se révèle malin et efficace. Aussi radical soit le parti artistique, on ne s’en lasse bizarrement pas.
Un paysage sublimé
Brûle le sang se déroule à Nice, dans le sud de la France. De St Jean Cap Ferrat, ses demeures de milliardaires russes et ses petites plages; aux HLM des quartiers nord; en passant par la Promenade des anglais ou la place Masséna; toute la ville y passe.
La carte postale et ses bas-fonds accueillent des personnages tout aussi contrastés. Le film réunit des gueules aux tempérament bien tranchés. Akaki Popkhadze caricature ses personnages comme Jan Kounen pouvait le faire. On retrouve Finnegan Oldfield à contre-emploi mais juste dans sa truculence ou le beaucoup trop rare Denis Lavant.
Le réalisateur d’origine géorgienne nous fait plonger dans le tumulte de cette diaspora. Le tragique des personnages enfermés par leurs destins et la violence de leur quotidien trouve son pendant auprès d’une autre communauté avec Thierry de Peretti ou Julien Colonna.
La mécanique est parfaitement huilée. Aussi, selon cette même formule, se prête-t-on à rêver d’un réalisateur kosovar pour dynamiter le cinéma romand.
Un pied d’estal
Florent Hill, co-auteur du film, chez lui à Nice, se taille un rôle sur-mesure pour créer l’œuvre qui le révèlera.
Le public découvre son regard portant le poids du monde et son faciès impassible et déterminé façon Ryan Gosling révélé dans Drive. Puis l’acteur démontre ses talents de judoka, écho à la capoeira du charmeur Vincent Cassel révélé dans La Haine. Même son physique évolue au gré des péripéties pour élargir sa partition.
Cette recherche de nuances apporte une sensibilité qui complète l’univers du film. Brûle le sang présente une violence vraie mais pudique. Fans de Darren Aronofsky en recherche de petites prods européennes, préférez l’italien Dogman, le belge Bullhead ou le danois Pusher III.
Une œuvre singulière mais courte
Le seul bémol réside peut être dans la rapidité des scènes charnières qui méritaient une montée en puissance plus lente pour plus de suspense donc plus de plaisir. On sent peut-être ici la pression des distributeurs. Espérons la sortie, un jour, d’un “director’s cut” plus long, façon Michael Mann.