Adolf

Illustration pour Table Bleue, revue hétéroclite genevoise

Image d'illustration - Crédit: Lexica.art

Adolf

On n’entend guère parler des parents de Hitler. C’est vrai. Aimaient-ils leur rejeton avec la même passion aveugle, avec la même fierté frisant le ridicule que celles qu’on voit briller dans les yeux des pères et des mères du monde entier? Poussaient-ils leurs voisins du coude, en échangeant des sourires extasiés et complices, dès que le petit passait à la radio ou que l’ombre de sa moustache apparaissait sur le grand écran, pendant les actualités? Est-ce avec un pincement au cœur, presque douloureux tant il les remuait, qu’ils assistaient aux défilés? Et les bannières qui claquaient au vent, les bottes qui heurtaient les pavés d’un pas horriblement cadencé, ne leur semblaient-elles pas scander Adolf Adolf, ces deux petites syllabes qui renfermaient en elles, pour eux, le parfum aigre des couches souillées, les risettes sans fin, les premières courses maladroites, les sourires qui retroussaient les joues rebondies et les bouderies naïves qui plissaient le bout du nez, bref, tout l’attendrissement et l’émerveillement qu’ils avaient eus en voyant leur petit bout de chou grandir et, petit à petit, devenir un homme? Ah qu’il est aveuglant ce miracle de la nature qui d’un œuf fécondé fait un dictateur! On se prendrait presque à croire en Dieu!

Stéphane Augsburger
Exit mobile version